RENAN Ernest
« Cahiers de Jeunesse 1845-1846 »
Paris, Calmann Lévy, 1929, in-8 (22 x 14,5 cms), 425 pp., relié.
Reliure demi maroquin bleu nuit, dos à cinq nerfs, titrage doré, de rares rousseurs dans le texte.
Ce premier volume couvre les cinq premiers cahiers (le deuxième volume couvre les quatre derniers).
Premier cahier : Moisson ; Deuxième cahier : Nouvelles moissons ; Troisième cahier : Utile à beaucoup de choses ; Quatrième cahier : Nephtali ; Cinqième cahier : Moi-même.
[Les Cahiers de jeunesse (1845-1846 ) furent publiés par la fille de Renan, Noémi Psichari.
Cette publication n avait pas été sans rencontrer de multiples difficultés. Des extraits devaient tout d’abord paraître dans la Revue de Paris le 1er mars, Ernest Lavisse s’y était engagé, non par écrit il est vrai. Le 1er février, il renouvela sa promesse tout en insinuant timidement qu'il y aurait des «modifications à proposer ». De quelques coupures insignifiantes, le directeur en vint à demander à Noémi la suppression de « toute » la partie du séminaire. Comme on le pense, elle ne céda pas sur le principe de l’ intégralité du texte. «Lavisse ne m’a jamais donné d’autre raison que sa volonté de directeur, ce que je trouve insuffisant pour tronquer du Renan. Il a évidemment d’autres raisons politiques ou financières qu’il n’ose pas dire. [...] Imagine-t-on chose pareille ? Quel jour jeté sur les luttes de notre temps que ce fait de ne pouvoir publier librement du Renan dans la revue la plus libérale de France. »
Des échos dans le. monde et dans la presse donnèrent une consistance à ce qu’on appela un scandale littéraire. Noémi regretta pourtant « le cadre sérieux et élégant » de la Revue de Paris qu’aucune autre ne remplaçait à ses yeux. Elle fit face à cette vive contrariété et des extraits des Cahiers de jeunesse parurent dans la Revue des Revues de Jean Finot à partir du 1er avril.
Enfin le volume sortit des presses de Calmann-Lévy le 9 novembre 1906. «Il a obtenu, écrit encore Noémi à son fils, un vif succès que sa publication en revue, un peu morcelée et traversée ne faisait pas prévoir. » On a remarqué les termes employés par Noémi Psichari : «les luttes de notre temps ».
Ce sont précisément celles qui permirent à Jean Jaurès de clamer son ardente pensée en pleine tribune de la Chambre le 13 novembre 1906. La discussion du jour était centrée sur la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, encore fraîche du 9 décembre 1905 et dont les remous devaient longtemps secouer la France. Mais laissons parler Jaurès : « Ces jours-ci, ont été publiés pour la première fois les admirables Cahiers de jeunesse écrits par Ernest Renan, les notes qu’à vingt-deux ou vingt-trois ans, avant de quitter Saint-Sulpice et au lendemain de la rupture, il écrivait pour lui-même. C’est là qu’est le secret, c’est là qu’est le premier et peut-être le plus haut jaillissement de sa pensée. Plus tard, il est apparu à beaucoup d’esprits superficiels comme un sceptique, comme un dilettante. Ce n’est pas vrai ; c’était un croyant dont les audaces avaient été rabattues, refoulées, ou par les violences de la guerre civile en 1848, ou par la violence du coup d’Etat, et son ironie n’était que la revanche de son idéal meurtri qui se raillait de lui-même.Eh bien, messieurs, ces premières audaces, ces premières et sublimes espérances de sa jeunesse, sur lesquelles peu à peu il a jeté un voile d’ironie qui est allé s’épaississant au point que plusieurs le prenaient pour un linceul, quel caractère avaient-elles ? C’était une espérance religieuse, c’était une affirmation religieuse ; il rêvait la réforme scientifique de l’Eglise, la rupture de l’orthodoxie, la réintégration du christianisme dans le patrimoine de l’esprit humain, et en même temps la réforme idéaliste de la société tout entière : le peuple appelé à une condition plus haute, non pas pour des joies matérielles plus grandes, mais pour qu’il puisse communiquer de plain-pied avec toutes les noblesses de l’art et de la science ; et il rêvait, lui, l’isolé, le solitaire de 1845 et 1846, toute une organisation qui devait propager ses vues de régénération religieuse et sociale. Ce qui marque bien le caractère de son espérance, c’est la prière qu’il écrivait pour lui-même il y a plus de cinquante ans : «Mon Dieu, mon Dieu, pourrai-je faire ce que je veux, moi si faible, si pauvre, isolé du monde, ne connaissant personne ? Mais Luther a été comme moi.Ainsi, il s’apparaissait à lui-même, à cette heure des espérances les plus hautes, comme le précurseur ignoré, voué aux plus douloureux combats, d’une réforme plus audacieuse et plus profonde que celle du xvr siècle, s’il n’avait pas été rabattu par les événements, s’il n’avait pas cru nécessaire de voiler, en effet, d’une apparence de demidésaveu et de superficielle ironie, l’éclat de sa première espérance reli¬ gieuse ; si dans la République de 1848, sauvée et prolongée, il avait usé des libertés générales pour organiser en effet cette propagande idéale, je vous le demande, aurait-il créé une association philosophique, ou aurait-il fondé une association religieuse, s’il avait convoqué en effet des groupes d’hommes à l’étude périodique et à l’affirmation collective de la même pensée ? Ainsi, messieurs, si vous n’avez pas un critérium historique, il vous est impossible de discerner l’association philosophique de l’association religieuse. »
Source : Siohan CORRIE. "Jaurès parle de Renan", Bulletin de la Société des Études renaniennes, N°5, 1er trimestre 1971. pp. 3-4 – Journal Officiel,15 novembre 1906]
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